La dormance des graines est un phénomène physiologique fondamental qui empêche la germination immédiate après la formation de la graine, même si les conditions environnementales semblent favorables. Il s'agit d'une stratégie adaptative cruciale pour la survie des espèces végétales, leur permettant de différer la germination jusqu'à ce que les conditions soient optimales pour le développement du plantule. Cette propriété est régulée par une combinaison complexe de signaux hormonaux, environnementaux et génétiques.
Définition et types de dormance
La dormance peut être définie comme un état physiologique dans lequel la graine ne germe pas malgré la présence de chaleur, d’eau, d’oxygène et de lumière appropriés. Elle se distingue de la quiescence, qui désigne un simple arrêt temporaire dû à l'absence de conditions extérieures favorables.
On distingue plusieurs types de dormance :
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Dormance primaire : acquise pendant la maturation de la graine sur la plante mère. Elle empêche la germination immédiate après la dispersion.
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Dormance secondaire : induite chez une graine déjà mature si elle est exposée à des conditions environnementales stressantes comme des températures trop élevées ou trop basses.
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Dormance physiologique : due à un déséquilibre hormonal ou à des inhibiteurs internes.
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Dormance physique : liée à l’imperméabilité du tégument aux gaz ou à l’eau.
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Dormance mécanique : quand la pression du tégument empêche la radicule d’émerger.
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Dormance combinée : lorsque plusieurs mécanismes interviennent simultanément.
Rôle écologique de la dormance
La dormance permet aux graines de ne pas germer pendant une période défavorable (hiver, sécheresse, etc.). Elle répartit aussi la germination sur plusieurs années, augmentant ainsi les chances de survie de l'espèce dans un environnement imprévisible. Certaines espèces, comme les plantes annuelles des milieux désertiques, possèdent des graines qui peuvent rester dormantes pendant plusieurs années en attendant une pluie suffisante.
La dormance contribue également à limiter la compétition entre plantules issues d’une même plante mère en échelonnant leur émergence.
Régulation hormonale de la dormance
Les hormones végétales jouent un rôle central dans l’établissement et la levée de la dormance :
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Acide abscissique (ABA) : hormone clé dans l’induction et le maintien de la dormance. Elle s’accumule pendant la maturation des graines et inhibe la germination.
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Gibbérellines (GA) : hormones favorisant la germination. Leur action s’oppose à celle de l’ABA.
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Éthylène, brassinostéroïdes et cytokinines : peuvent également intervenir dans certaines espèces en facilitant la levée de dormance.
L’équilibre entre ABA et GA détermine en grande partie si la graine restera dormante ou pourra germer.
Facteurs environnementaux influençant la dormance
Plusieurs facteurs extérieurs peuvent moduler ou interrompre la dormance :
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Température : le froid (vernalisation) peut lever la dormance physiologique. Certaines graines nécessitent plusieurs semaines de froid humide pour devenir germinatives.
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Lumière : certaines graines ont besoin de lumière (photoblaste positive) ou au contraire d’obscurité (photoblaste négative) pour sortir de dormance.
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Humidité : la présence prolongée d’eau peut déclencher des changements métaboliques favorables à la germination.
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Oxygène : une faible teneur en oxygène peut maintenir la dormance, notamment en milieu inondé.
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Feu ou abrasion : dans les écosystèmes soumis aux incendies, certaines graines ne germent qu’après une exposition au feu qui fragilise leur tégument.
Mécanismes biochimiques et moléculaires
Les graines dormantes possèdent une activité métabolique réduite mais active, leur permettant de détecter des signaux internes et externes. Plusieurs gènes régulateurs, comme DOG1 chez Arabidopsis, sont essentiels dans le contrôle de la dormance.
L’ABA active des gènes qui codent pour des protéines de stockage, des inhibiteurs enzymatiques et des protéines de stress. En revanche, la GA favorise l’expression d’enzymes comme l’amylase, qui dégrade les réserves de l’endosperme et libère l’énergie nécessaire à la croissance de l’embryon.
Des mécanismes épigénétiques, comme la méthylation de l’ADN ou les modifications des histones, participent aussi à la régulation durable de la dormance.
Levée de la dormance : traitements et applications
En agriculture et horticulture, il est souvent nécessaire de lever artificiellement la dormance pour obtenir une germination rapide et homogène :
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Stratification : exposition prolongée à des températures froides et humides.
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Scarification : abrasion mécanique ou chimique du tégument.
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Traitement hormonal : application de gibbérellines pour contrer l’effet de l’ABA.
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Choc thermique ou lumineux : pour simuler des conditions naturelles déclenchantes.
Ces méthodes sont largement utilisées pour la propagation des espèces forestières, les semis agricoles ou les collections botaniques.
Dormance et banque de graines dans les sols
De nombreuses espèces maintiennent une banque de graines viable dans le sol pendant des années, voire des décennies. Cette stratégie repose sur la dormance pour assurer une germination différée. Elle permet à une population de se reconstituer après une perturbation, comme un feu de forêt, un pâturage ou un labour.
La dormance constitue ainsi un véritable mécanisme de résilience écologique, maintenant la diversité génétique et la stabilité des écosystèmes.