Le paludisme reste l’une des principales maladies parasitaires à l’échelle mondiale, avec plus de 200 millions de cas chaque année, selon l’OMS. Les progrès réalisés dans la lutte contre cette pathologie reposent en grande partie sur l’efficacité des traitements antipaludiques. Toutefois, l’émergence de souches de Plasmodium résistantes constitue une menace majeure pour les efforts de contrôle et d’élimination de la maladie. Cet article présente un panorama des traitements actuels contre le paludisme, des résistances observées, ainsi que des stratégies pour y faire face.
1. Les traitements antipaludiques actuels
1.1 Médicaments recommandés par l’OMS
a) Thérapies combinées à base d’artémisinine (ACT)
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Associations de l’artémisinine avec un partenaire à longue durée d’action :
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Artéméther-luméfantrine (AL)
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Artésunate-amodiaquine (ASAQ)
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Dihydroartémisinine-pipéraquine (DHA-PPQ)
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Ces traitements sont la pierre angulaire du traitement du paludisme à Plasmodium falciparum.
b) Chloroquine
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Utilisée historiquement contre P. vivax et P. ovale.
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Moins utilisée contre P. falciparum à cause de la résistance généralisée.
c) Primaquine
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Cible les formes hépatiques dormantes (hypnozoïtes) de P. vivax et P. ovale.
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Indispensable pour prévenir les rechutes.
d) Autres molécules
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Quinines (sulfate de quinine) : encore utilisées dans certains contextes sévères.
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Atovaquone-proguanil : prophylaxie et traitement léger à modéré.
1.2 Traitement du paludisme grave
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Artésunate injectable recommandé pour les formes sévères.
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Suivi d’un traitement oral par ACT.
2. Résistances émergentes aux antipaludiques
2.1 Résistance à la chloroquine
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Apparue dans les années 1950 en Asie du Sud-Est, puis étendue à l’Afrique.
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Liée à des mutations du gène pfcrt chez P. falciparum.
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Rend la chloroquine inefficace dans la majorité des zones endémiques.
2.2 Résistance à la sulfadoxine-pyriméthamine (SP)
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Utilisée dans les programmes de traitement préventif intermittent (femmes enceintes, enfants).
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Résistances dues à des mutations dans les gènes dhfr et dhps.
2.3 Résistance à l’artémisinine
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D’abord détectée dans le Grand Mékong (Cambodge, Vietnam, Myanmar).
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Caractérisée par un ralentissement de la clairance parasitaire, surtout avec la mutation du gène K13.
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Désormais signalée dans certaines régions d’Afrique, notamment au Rwanda, en Ouganda et au Ghana.
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Préoccupation majeure car les ACT pourraient perdre leur efficacité.
2.4 Résistance aux partenaires des ACT
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Résistances à la pipéraquine (DHA-PPQ) documentées.
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Nécessite des ajustements thérapeutiques régionaux.
3. Facteurs favorisant la résistance
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Usage inadéquat des traitements (automédication, arrêt prématuré).
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Distribution non réglementée de médicaments.
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Monothérapie à base d’artémisinine toujours utilisée dans certaines régions.
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Mutations génétiques spontanées favorisées par la pression de sélection.
4. Conséquences pour la santé publique
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Recrudescence des cas dans certaines zones.
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Allongement des hospitalisations et augmentation des complications.
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Nécessité de changer les protocoles de traitement régulièrement.
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Augmentation des coûts pour les systèmes de santé.
5. Stratégies pour contrer la résistance
5.1 Surveillance moléculaire et parasitologique
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Programmes de suivi de l’efficacité thérapeutique (TES).
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Détection précoce des mutations de résistance (ex. : K13).
5.2 Développement de nouveaux médicaments
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Nouvelles molécules en cours d’évaluation : KAF156, MMV048, etc.
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Objectif : action rapide, nouvelle cible moléculaire, efficacité contre les souches résistantes.
5.3 Lutte contre la monothérapie
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Interdiction de l’artémisinine seule dans tous les pays.
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Promotion exclusive des ACT dans les politiques de santé publique.
5.4 Prévention
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Utilisation de moustiquaires imprégnées et pulvérisations résiduelles.
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Prophylaxie pour les voyageurs ou personnes à risque.
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Vaccination (comme le RTS,S/AS01), bien que partiellement efficace.
Conclusion
La lutte contre le paludisme repose aujourd’hui sur une course contre la montre entre l’évolution du parasite et les efforts humains en matière de traitement, de prévention et de surveillance. Les résistances émergentes aux antipaludiques, en particulier à l’artémisinine, exigent une vigilance constante, une coopération internationale accrue et un soutien fort à la recherche. Préserver l’efficacité des ACT et développer de nouvelles options thérapeutiques est indispensable pour espérer éliminer cette maladie à moyen terme.