Les cellules souches embryonnaires sont reconnues pour leur potentiel de différenciation illimité et leur capacité d’auto-renouvellement, deux propriétés essentielles à la formation harmonieuse de l’embryon. Cependant, ces mêmes caractéristiques sont également retrouvées dans certaines cellules tumorales, notamment dans les cancers embryonnaires, comme les tératomes, les carcinomes embryonnaires ou les tumeurs germinales. Ces similitudes soulèvent des questions importantes sur les liens entre développement normal et cancérogenèse, et ouvrent la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques ciblées.
Qu’est-ce qu’un cancer embryonnaire ?
Les cancers embryonnaires sont des tumeurs qui apparaissent à partir de cellules immatures durant le développement embryonnaire ou peu après la naissance. Ils se caractérisent par une différenciation partielle ou désorganisée, souvent dans plusieurs types cellulaires, mimant les feuillets embryonnaires (ectoderme, mésoderme, endoderme).
Parmi les cancers embryonnaires les plus fréquents, on trouve :
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Les tératomes : tumeurs contenant des tissus variés (cheveux, dents, os…)
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Les tumeurs germinales malignes (ex. : séminomes, carcinomes embryonnaires)
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Les neuroblastomes, rétinoblastomes et hépatoblastomes chez les enfants
Ces tumeurs sont souvent d’origine germinale ou pluripotente, ce qui les rapproche fortement des cellules souches embryonnaires.
Points communs entre cellules souches et cellules cancéreuses
Les cellules cancéreuses et les cellules souches embryonnaires partagent plusieurs propriétés fondamentales :
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Capacité de prolifération illimitée
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Immortalisation en culture
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Faible dépendance aux signaux de différenciation
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Expression de gènes de pluripotence comme Oct4, Sox2, Nanog
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Résistance à l’apoptose
Ces similitudes ont conduit à la notion de cellule souche cancéreuse, qui serait à l’origine de certaines tumeurs et responsable de leur récidive après traitement.
Origine des tumeurs embryonnaires
Les tumeurs embryonnaires peuvent dériver :
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De cellules germinales primordiales mal migrées ou transformées
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De cellules pluripotentes non régulées ou mal différenciées
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De cellules souches résiduelles après le développement embryonnaire
Dans les tératomes, par exemple, une cellule pluripotente reste bloquée dans un état primitif et prolifère anarchiquement, formant des tissus variés. Ces tumeurs peuvent être bénignes ou malignes selon leur composition et leur localisation.
Tératome et cellules souches embryonnaires en laboratoire
Lorsque des cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) sont injectées dans une souris immunodéprimée, elles forment naturellement un tératome. Ce phénomène est utilisé comme test de pluripotence : si la cellule est vraiment pluripotente, elle doit produire des dérivés des trois feuillets embryonnaires. Cependant, cette propriété illustre aussi le risque tumoral associé à l’utilisation clinique de cellules souches pluripotentes non différenciées.
Signaux moléculaires impliqués
Les voies de signalisation impliquées dans le développement embryonnaire sont aussi souvent dérégulées dans les cancers :
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Wnt/β-caténine : contrôle la prolifération cellulaire
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Notch : régule la différenciation et le destin cellulaire
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Shh (Sonic Hedgehog) : impliquée dans la morphogenèse et la croissance tumorale
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BMP et FGF : influencent l’équilibre prolifération/différenciation
L’hyperactivation ou la dérégulation de ces voies dans un contexte anormal peut favoriser la transformation tumorale de cellules souches.
Implications thérapeutiques
Comprendre les points communs entre cellules souches et cellules cancéreuses permet :
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De mieux cibler les cellules souches cancéreuses dans les tumeurs solides
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De développer des thérapies différenciatrices pour forcer les cellules cancéreuses à se spécialiser et à perdre leur pouvoir prolifératif
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De limiter les risques de transformation tumorale dans les protocoles de thérapie cellulaire à base de cellules pluripotentes
Des molécules inhibant spécifiquement les gènes de pluripotence (comme Oct4) ou les voies de signalisation anormalement activées sont actuellement en phase de développement préclinique.
Risques en médecine régénérative
L’un des freins majeurs à l’utilisation des cellules souches embryonnaires ou iPS en thérapie est leur potentiel oncogénique. Une injection de cellules mal différenciées peut entraîner la formation de tumeurs, notamment des tératomes. C’est pourquoi les protocoles actuels cherchent à assurer une différenciation terminale rigoureuse avant implantation, ainsi qu’un contrôle strict de la pureté des populations cellulaires.
Conclusion
Le lien entre cellules souches et cancer embryonnaire révèle une facette double de la biologie cellulaire : le même potentiel qui permet la construction du vivant peut, mal régulé, conduire à sa dérégulation et à la tumeur. Mieux comprendre ces mécanismes permet à la fois d’améliorer la sécurité des thérapies à base de cellules souches, et de concevoir des traitements anticancéreux plus efficaces, ciblant les cellules les plus résistantes et proliférantes des tumeurs.