La morphogenèse, c’est-à-dire la formation des structures et des formes du corps au cours du développement embryonnaire, repose sur des signaux moléculaires fins et spatiaux. Parmi les morphogènes les plus puissants, la protéine Sonic Hedgehog (Shh) est incontournable. Elle joue un rôle central dans la structuration des axes embryonnaires, l'organisation des tissus et la spécialisation cellulaire. Une perturbation de cette voie peut entraîner des malformations congénitales graves.
Origine du nom « Sonic Hedgehog »
Le nom « Sonic Hedgehog » provient d’une série de gènes identifiés chez la mouche (Drosophila), dont les mutants présentaient un aspect épineux. Par la suite, les homologues chez les vertébrés ont été nommés de façon humoristique d’après des personnages de jeux vidéo. Shh est l’un des trois membres de la famille Hedgehog chez les mammifères (avec Indian Hedgehog et Desert Hedgehog).
Le rôle de Shh comme morphogène
Un morphogène est une molécule de signalisation capable d’induire différentes réponses cellulaires selon sa concentration. Shh est produit localement dans certaines régions de l’embryon, puis diffusé à travers les tissus voisins. Ce gradient de concentration permet aux cellules de « lire » leur position dans l’espace embryonnaire et d’activer différents programmes de différenciation.
Mécanisme de la voie de signalisation Shh
La signalisation Shh repose sur plusieurs étapes clés :
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Sécrétion de Shh
Shh est produit sous forme inactive, puis modifié par des lipides (cholestérol et acide palmitique) pour devenir actif et pouvoir se fixer aux membranes et se diffuser. -
Fixation au récepteur Patched (PTCH1)
En absence de Shh, PTCH inhibe une autre protéine appelée Smoothened (SMO). -
Activation de Smoothened (SMO)
Lorsque Shh se fixe à PTCH, ce dernier libère SMO, qui s’active. -
Cascade intracellulaire
SMO initie une cascade qui aboutit à l’activation ou la répression de facteurs de transcription de la famille GLI (GLI1, GLI2, GLI3). -
Activation des gènes cibles
Les protéines GLI activent des gènes nécessaires à la prolifération, la différenciation et la morphogenèse.
Ce système est finement régulé pour garantir une réponse cellulaire appropriée à chaque niveau du gradient Shh.
Rôles morphogénétiques de Shh dans le développement
1. Organisation du tube neural
Shh est sécrété par la notochorde et la plaque neurale ventrale, deux structures embryonnaires primitives.
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Il établit un gradient ventro-dorsal qui détermine la différenciation des cellules neuronales : motoneurones, interneurones, etc.
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En absence de Shh, le tube neural ne se ferme pas correctement, conduisant à des anomalies graves du système nerveux central.
2. Formation des membres
Dans le bourgeon des membres, Shh est exprimé dans une zone spécifique appelée ZPA (Zone of Polarizing Activity) :
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Il génère un gradient antéro-postérieur (pouce → auriculaire),
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Ce gradient détermine le nombre et l'identité des doigts,
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Une mauvaise régulation peut provoquer une polydactylie (doigts surnuméraires).
3. Développement des structures craniofaciales
Shh est aussi impliqué dans la morphogenèse du visage, du cerveau antérieur, et de l’œil :
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Il permet la séparation des hémisphères cérébraux,
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Son absence peut entraîner une holoprosencéphalie (absence de séparation des hémisphères),
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Il guide aussi la croissance des mâchoires, du nez, et des cavités nasales.
4. Développement de la moelle osseuse et du tube digestif
Shh participe à :
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La spécialisation des cellules de la paroi intestinale,
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La mise en place de l’architecture du tube digestif,
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La formation des structures hématopoïétiques dans l’embryon.
Contrôle de la signalisation Shh
Le bon fonctionnement de la voie Shh dépend d’un équilibre entre activation et inhibition. Des inhibiteurs naturels (comme Hip1, Gas1, Gli3R) permettent de restreindre spatialement la signalisation. Une surexpression ou un manque de contrôle peut conduire à des troubles du développement ou à des cancers.
Pathologies associées à une dérégulation de Shh
Une signalisation anormale de Shh est liée à plusieurs pathologies :
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Holoprosencéphalie : défaut de séparation du cerveau antérieur.
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Polydactylie : excès de doigts causé par une suractivation dans le bourgeon des membres.
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Cancers : la voie Shh est réactivée dans plusieurs tumeurs (médulloblastome, carcinome basocellulaire, cancers du pancréas et du sein).
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Syndromes génétiques : comme le syndrome de Gorlin, lié à des mutations dans PTCH1.
Conclusion
La voie Sonic Hedgehog (Shh) est une des voies de signalisation les plus importantes en biologie du développement. Grâce à son rôle de morphogène, elle guide la formation des axes du corps, l’identité des cellules et la structuration des organes. Son étude a permis de mieux comprendre les processus de morphogenèse, les anomalies congénitales et les mécanismes du cancer. Elle reste un domaine actif de recherche en embryologie, génétique et thérapies ciblées.